|
Inscription :
L’inscription au dos qui est par endroits difficilement lisible a été lue et traduite par Ariane Macdonald, Dvags-po Rinpoche et Yon-Tan rGya-Mtsho pour leur étude de 1977.
Ngag-gi dbang phyug blo-bzang rgya-mtsho yi //
Sku-brnyan (kyablung lhun) grub khang-gsar-bas //
Spel ‘dis…
‘bral-med brce-bas sprul-sku myur ‘khrung-shog //
Qui se traduit par :
« Que par la diffusion de
la statue de Ngag-gi dbang phyug blo-bzang rgya-mtsho
Par (l’organisme ou la personne dont le nom se termine par) khang-gsar,
Son affection ne soit pas dissociée de nous, et que sa réincarnation naisse rapidement »
Cette inscription atteste clairement que la statue a été réalisée dans le but de favoriser la découverte rapide de la nouvelle incarnation du 5° Dalaï-Lama décédé, dans un enfant destiné à devenir le 6° Dalaï-Lama.
Il est fort probable que tous les rites, méditations et divinations ayant présidé aux recherches de cette nouvelle incarnation aient été faits autour de cette statue.
Datation :
Le fait que cette sculpture ait été érigée pour favoriser la découverte de la nouvelle incarnation du Dalaï-Lama implique que cela a dû être fait entre le jour de sa mort le 25°jour du deuxième mois de1682 et la reconnaissance de Tshangs-dbyangs rgya-mtsho en tant que réincarnation, et donc 6° Dalaï-Lama, à la fin de l’année 1683.
Auteur et matériau :
L’auteur de cette sculpture n’est malheureusement pas connu précisément. L’inscription étant en partie effacée à cet endroit, les tibétologues ne sont malheureusement pas parvenus à déterminer avec précision quel pouvait être l’organisme ou la personne dont le nom se termine par khang-gsar, ce terme pouvant être traduit par « nouvelle maison » ayant peut-être pu apporter une indication.
Compte tenu du contexte historique du moment, celui-ci ne peut de toute façon être que le régent Sangs-rgyas rgya-mtsho en personne ou un des quelques membres de la « maison privée » du 5° Dalaï-Lama, tous tenus par le serment de conserver le secret de la mort de leur maître jusqu’à l’intronisation de la nouvelle incarnation.
L’utilisation de la terre modelée, technique utilisée pour l’ornementation des premiers temples dans toute l’Asie Centrale et donc au Tibet, dont on sait qu’elle était pratiquée par certains lamas de haut rang, était la seule possibilité pour éviter d’avoir à appeler un artiste extérieur au groupe pour l’érection d’un tel objet.
Dans son étude. Madame Macdonald fait une comparaison des plus judicieuses avec un autoportrait également en terre, exécuté en 1630 par le Zhva-dmar Tulku. Les fortes similitudes entre les deux pièces, dénotent bien qu'au delà de l'évidence d'une tradition de sculpture de portraits de religieux au XVII° siècle, de hauts dignitaires étaient suffisamment habiles pour exécuter de parfaites petites sculptures dans un matériau aisément malléable.
Le fait que le régent Sangs-rgyas rgya-mtsho soit resté dans l’histoire comme un des grands patrons des arts et directeur des travaux artistiques du Palais du Potala, et que la sculpture représente le 5° Dalaï-Lama tel qu’il l’a vu rendre son dernier souffle en sa seule présence peut laisser supposer avec une très forte probabilité qu’il puisse en être l’auteur.
La terre utilisée n’est à priori pas une terre quelconque, mais a probablement été soumise à une purification.
Jusqu’en 2002 et son prêt au Musée Guimet, compte tenu de son poids et de sa dureté, la statuette était considérée comme étant en terre cuite.
En 1982, une tentative de datation par le procédé de la thermoluminescence avait révélé que la terre était tellement pure qu’elle ne contenait pas les habituels cristaux naturels et autres impuretés permettant l’utilisation de cette technique.
En 2002, Béatrice Beillard, restauratrice du Musée Guimet qui l’a préparée pour l’exposition, a procédé à un examen qui a permis de déterminer qu’il s’agissait en fait de terre crue séchée et non cuite.
On ne peut exclure que des poudres de matières organiques provenant de la personne même du 5° Dalaï-Lama ou des substances sacrées aient été mêlées à cette terre « purifiée », pour renforcer sa puissance spirituelle, voire magique, et guider le Régent et les quelques personnes liées par le secret dans leur recherche de la nouvelle incarnation.
|
|
|
Contexte historique :
Le 5° DalaÏ-Lama est né en 1617 dans la famille des ducs de 'Phyong-rgyas, berceau de l'ancienne monarchie tibétaine. A cette époque le Tibet est depuis plus d’un siècle tourmenté par une guerre civile qui oppose divers partis religieux pour le pouvoir sur le pays. Ces mouvements étaient attisés par les empereurs Ming qui depuis le règne de Yongle ont tout fait pour dresser les divers partis les uns contre les autres.
La position de la famille du futur 5° Dalaï-Lama est tellement importante et potentiellement « clef » dans l’issue de ce conflit que l’enfant était obligatoirement destiné à un brillant avenir. Il reçut son premier nom du célèbre maître Jonangpa, Taranatha. On crut un temps reconnaître en lui la réincarnation du Karmapa, puis du "Grand maître" de l'école Drukpa-Kagyupa, avant que non sans difficultés, il finisse par être admis comme réincarnation du IV° Tulku du dGa'-ldan pho-brang, l'un des palais monastiques du monastère de Drépung (un des trois grands centres Gelukpa des environs de Lhasa) et devenir ainsi le 5° Dalaï-Lama.
Dans les années 1620-1640, la fin de la dynastie Ming et la montée des Mandchous qui allaient mettre en place la dynastie des Qing fait baisser la pression des Empereurs Ming sur cette guerre, et avec l’appui des grands princes Mongols et de leurs armées, l’école Gelugpa des « Bonnets jaunes » parviendra en 1642 a prendre le dessus et à réunifier tout le pays autour de la personne du 5° DalaÏ-Lama.
Le jeune tulku, intronisé en 1622 devait devenir un des plus grands hommes d'état du Tibet, et son action devait marquer jusqu'à nos jours la politique, les arts, les lettres, et la religion du "pays des Neiges".
En 1642, il fonda le système de gouvernement tibétain tel qu'il devait rester jusqu'en 1959. Ce gouvernement prit le nom du palais monastique du Dalaï-Lama : dGa'-ldan pho- brang.
La création de ce gouvernement mettait fin à des années de trouble, en unifiant le Tibet sous la triple autorité du prince mongol Guçri Khan qui pour l'aide apportée aux Gelukpa recevait le titre de "Roi du Tibet", du Dalaï-Lama, et de son intendant, Bsod-nams chos-'phel, qui en devenait le 1° régent (sde-srid).
En tant que dirigeant du Tibet, un des premiers soucis du 5° Dalaï-Lama fut de ne pas paraître trop lié aux Gelukpa, et c'est certainement pour cela que dans une volonté d'unité nationale autour de sa personne et des institutions mises en place par lui, qu'il décida en 1645 la construction du Potala à lhasa, sur l'emplacement de l'ancien palais du grand roi Songtsen gampo, auquel les légendes attribuent l'introduction du bouddhisme au Tibet. Par la même occasion, cela lui donnait la possibilité de quitter le monastère de Drépung.
Durant quarante ans, ce gouvernement devait fonctionner parfaitement, et asseoir son autorité sur le pays.
Le quatrième jour du premier mois de 1682, le maître Nyingmapa Padma 'phrin-las adressait un message au régent Sangs-rgyas rgya-mtsho, au Potala, faisant état de mauvais présages perçus sur son "disciple et maître", le 5° Dalaï-Lama. Il préconisait avec insistance d'accomplir certains rites pour sa santé, ainsi qu'une retraite.
Onze jours plus tard, suivant les prescriptions de son "disciple et maître", le "Grand Cinquième" entrait officiellement en réclusion. Cette retraite devait ultérieurement permettre de cacher son décès aux yeux de presque tous, et principalement de l'empereur de Chine.
Le vingt-cinquième jour du deuxième mois, le Dalaï-Lama sentant sa fin très proche, fit venir le régent, lui demanda de cacher sa mort, en l'assurant qu'il saurait reconnaître sa réincarnation. En cas de problèmes, lui et les ministres n'auraient qu'à consulter la déesse Lha-mo pour obtenir les réponses à leurs questions. Après une telle consultation, ils décidèrent de garder le secret jusqu'a l'avènement du successeur.
La seule personne extérieure informée, fut Gter-bdag gling-pa (1646-1714), le célèbre découvreur de textes cachés, qui fut un des plus proches "maître et disciple" Nyingmapa du Dalaï-Lama. Le secret devait donc être gardé jusqu'à l'intronisation officielle de la 6° incarnation, en 1697, pour permettre au gouvernement de se maintenir.
Ce gouvernement pouvait fonctionner sans le Dalaï-Lama, mais en son nom, tant que l'empereur de Chine, et les dirigeants tibétains hostiles aux Gelukpa n'étaient pas informés de son décès. Il était donc essentiel pour le régent Sangs-rgyas rgya-mtsho et ses partenaires de découvrir le plus rapidement possible le nouveau corps pris par leur maître et de faire la plus grande partie de son éducation en secret.
C'est dans ce contexte très particulier que s'inscrit notre sculpture.
Notre statuette en terre a dû servir de modèle à au moins deux éditions en bronze de portraits post-mortem du Dalaï-Lama.
La première, dont un exemplaire a figuré sous le numéro 4 à l’exposition « RITUELS TIBETAINS – VISIONS SECRETES DU 5° DALAI LAMA » au Musée National des Arts Asiatiques GUIMET à Paris, du 5 novembre 2002 au 24 février 2003, a du voir le jour entre l'annonce officielle du décès du "Grand Cinquième", en 1697, et la disparition du Vl° Dalaï-Lama en 1705.
A l’examen, elle est clairement directement inspirée de notre statuette en terre qui a fixé pour toujours les traits du 5° Dalaï-lama à l’instant de sa mort.
La seconde édition est également à peu près identique, mais sur tous les spécimen connus, dont un fut exposé lors de l’exposition Dieux et démons de l’Himalaya « à Paris en 1977 (n°287), le phur-bu a disparu. Cette seconde édition n'est qu'une réplique expurgée de la précédente, signe évident d'une répression anti Nyingmapa. Cette deuxième série d'objets a vraisemblablement commencé à voir le jour après 1750, date à laquelle bsKal-bzang rgya-mtsho, 7° Dalaï-Lama recouvrait le pouvoir temporel de sa 5° incarnation, après les échecs successifs de trois gouvernements civils soutenus par l'empereur de Chine.
A la fois dernier portrait du 5° DalaÏ-Lama, fixé à l’instant de son décès par un de ses plus proches collaborateurs, objet de culte destiné à soutenir les méditations et rites en vue de retrouver la nouvelle incarnation, pièce maîtresse d’un secret d’état majeur pour l’histoire de l’Asie à la fin du 17° siècle, et plus précisément pour les relations entre les Tibétains, les Mongols, et l’empereur Kangxi, cette remarquable sculpture n’en demeure pas moins un témoignage artistique exceptionnel. |