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ENGLISH VERSION
 
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Un portrait du III° Karmapa
 

 
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Rang-'byung rdo-rje  (Rangjung dorje
III° Karmapa

Gouache sur toile 75 X 61 cm 
Tibet vers 1350.

 
 
 
 

Cette très inhabituelle peinture présente de nombreux caractères qui permettent de la situer à un moment clé dans l'évolution de la peinture tibétaine.

Cent-treize vignettes entourent le centre de cette peinture, au coeur de laquelle un moine est représenté, assis sur un trône, portant la coiffe noire caractéristique des pontifes de l'école Karmapa. Cette coiffe aurait été possée par une dakini surlatête de Dus-gsum mkhyen-pa(1110-1193) fondateur du monastère de Kar-ma gdma-sa, (qui donnera son nom à l'école Karmapa) et de celui de mTshur-pu qui en sera la maison mère. Après sa mort, ce saint homme fut reconnu comme la première incarnation de la toute première lignée de lama réincarnés qui caractériseront le bouddhisme tibêtain. Ses deux incarnations suivantes seront: Karma pakshi (12051283), et Rangjung dorje (1284-1339). C'est ce dernier qui occupe ici le centre de la composition . Ses deux précédentes incarnations sont figurées en miniature à droite et à gauche du sommet de l'arc en ciel qui l'entoure. Karma pakshi y est aisément reconnaissable grâce à sa barbiche caractéristique.

Ce portrait, sans doute éxécuté peu après le décès de Rangjung dorje, constitue certainement avec le Sakyasri collecté par le Professeur Tucci au Tibet, et aujourd'hui dans la collection R.H. Ellsworth, une des plus anciennes biographies illustrées tibetaines connues. Dans les deuxcas, lemoine trône au centre de la composition entouré de vignettes relatant les hauts faits de sa vie.

Aucune de ces deux peintures ne porte d'inscriptions. Le Sakyasri a pu être identifié par G. Tucci grâce à sa connaissance de la biographie écrite par Trophu lotsawa, qui en 1204 avait fait venir ce grand maître indien au Tibet. Le peintre a suivi le texte avec une extrême précision.
 

Notre peinture du III° Karmapa présente plus de vignettes, et l'absence du texte de réference en rend l'interprétation délicate. Toutefois, un examen attentif de l'oeuvre, associé aux éléments biographiques les plus connus de Rangjung dorje permet de proposer une lecture commençant par la vignette la plus à notre droite sous les rinceaux de lotus qui soutiennent le trône. L'histoire se déroule ensuite en partant vers la gauche, et en tournant autour du lama, retrouvant ainsi le sens de la circumanbulation rituelle. (cf : photo 2)

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Les douze premières vignettes semblent évoquer ses origines spirituelles, avec une succession de maîtres, parmi lesquels on peut penser reconnaître Padmasambhava, Damarupa, ainsi que ses deux précédentes incarnations. La treizième vignette fait clairement allusion à sa naissance sur le toit d'une maison au Tibet méridional, et à sa vision de Dampa sangsrgyas qui le pénètre sous la forme d'un arc-en-ciel. On trouve ensuite de nombreuses références aux enseignements qui lui ont été conférés. Plusieurs scènes sont relatives à ses retrouvailles alors qu'il est agé de cinq ans, avec son ancien disciple, U-rgyan-pa, qui deviendra son maitre. Sont également représentées ses initiations à divers cycles tel que le Samvara Tantra, ou les apparitions de diverses divinités tels Mahakala, ou Ekajati. On peut également voir une évocation de l'histoire d'un arbre mort qu'il replante et qui devient un grand bel arbre. Son initiation aux cinq doctrines de Maitreya, l'apparition de Padmasambhava, sa vision des étoiles et sa redaction d'un traité d'astrologie, des fondations d'hermitages et de monastères, l'acceuil que lui réservent les dieux dans tous ses déplacements, sont également illustrés dans les vignettes.

La rangée inférieure qui doit se lire de droite à gauche célèbre probablement le décès de rangjung dorje, montré désormais dans des sphéres divines, prêchant assis aux côtés du Buddha, célébrant des rites en compagnie de diverses divinités sous la direction de Vajradhara, face à deux stupa qui symbolisent ses deux précédentes incarnations, ou encore, assis dans un décor architectural, en compagnie de Manjuçri et d'Avalokiteçvara.  Les quatre dernières vignettes représentent successivement; le Buddha, Vairocana paré, Amitabha, et encore le Buddha. Ces quatre représentations font probablement encore allusion au monde divin rejoint par le Karmapa après son décès et avant sa prochaine incarnation, (Amitabha n'est-il pas le Buddha de la vie sans fin?) mais semblent également faire office de remplissage pour les quatre dernièrs espaces libres de la composition.
 

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Rangjung dorje est assis sur un trône architecturé, orné d'animaux mytiques j reposant sur une tige de lotus qui émerge d'un vase à eau lustrale, supportée par deux naga. Un subtil décor de feuillages apparaît au dessus de l'arc-en-ciel qui entoure le moine. Toute la partie centrale de ce thangka est directement inspirée de la peinture indienne Pala, qui dès le XI° siècle servira de modèle aux tibetains. Le style spécifique dans lequel elle est traitée, est à mettre directement en rapport avec une petite série de peintures généralement attribuées au Tibet occidental, et dont la plus célèbre est un portrait de moine conservé au los-Angeles County Museum (inv. M.80. 188).

Les cent treize vignettes qui entourent le III° Karmapa, ont des fonds alternativement peints en rouge, bleu, et vert, qui démontrent leurs liens avec la peinture népalaise. Ainsi, comme pour la peinture de Sakyasari évoquée plus haut, le moine central se rattache aux traditions indiennes, alors que les registres historiés qui les entourent sont directement empruntés de la tradition néware, (attestée dès le XIII° siècle) d'entourer la divinité principale de divers épisodes et légendes démontrant sa puissance, et l'efficacité de son rituel. Au delà de cette "néwarisation" dans la couleur, la structure, et le traitement de certains personnages, la majorité de ces centtreize images renvoit directement à des peintures de manuscrits Pala. Tout ceci contribue à donner le jour à une peinture tibétaine, dans laquelle des éléments népalais viennent régénérer une tradition "Pala internationale" qui s'essoufle.

Il faut noter sur une des vignettes du rang vertical le plus à notre droite, une représentation de Rangjung dorje assis dans une structure architecturale, entouré de neuf Buddha dessinés en noir sur un fond or. Il s'agit cerainement ici des prémices d'une technique qui sera par la suite appliquée à des thangka entiers. (gser-thang).

Bien que postérieur de quelques décénies à celui de Sakyasari, ce portrait du III° Karmapa présente des différences de traitement résultant uniquement d'une autre origine géographique. Les liens évoqués plus haut avec le portrait de moine du musée de Los-Angeles, plaideraient en faveur d'une origine au Tibet occidental. Cette attribution est renforcée par les nombreuses similitudes stylistiques de ce thangka avec les peintures murales du Lhakang Soma d'Alchi au Ladakh, et de quelques autres temples de cette région. Ces peintures murales sont depuis une quinzaine d'années au centre d2une querelle de datations. L'existence de cette peinture vraissemblablement éxécutée aux alentours de 1350, démontre que ce style "archaique" spécifique était encore bien vivant dans la région au milieu du XIV° siècle, alors que l'école népalisante était déjà dominante au Tibet central.

Cette superbe peinture narrative, peut être considérée comme "l'ancêtre" du célèbre thangka représentant la vie de Milarépa conservé au Los-Angeles Country Museum (M.81.90.2). Ce Milarépa, généralement daté du XV° siècle est également supposé provenir du Tibet Occidental. Ces deux peintures, tout comme le portrait de moine de Los Angeles appartiennent aux traditions Kagyupa, et sont peut-être les précieux témoignages d'une ancienne tradition picturale caractéristique de cet ordre.

 
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Textes & Images : (c) marie-catherine daffos & jean-luc estournel /aaoarts.com 1997 / 2015

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