yamantaka, mahavajrabhairava
 
 

Vajrabhairava (rDo-rje ‘jigs-byed).

Gouache sur toile. 56 x 39 cm. Tibet. Ca 16° siècle.

Superbe et rare thang-ka représentant un aspect de Yamântaka, gardien de la loi, vainqueur de Yama le dieu de la mort présent à ses pieds sur un buffle couché en compagnie de sa contrepartie féminine, Yami. Il figure ici sous son aspect classique à neuf têtes, la principale, taurine, la plus haute étant celle de Manjuçri dont il serait une émanation. De ses seize pieds, il foule diverses divinités hindoues, et de multiples animaux, en tenant dans ses mains le couperet, la coupe crânienne, et de multiples autres attributs. En bas à droite, un moine Sa-skya-pa permet le rattachement de l'oeuvre à cette école. Bien que présentant des différences notables, la monumentalité de la figure centrale, évoque immédiatement la célèbre peinture du même sujet de l'ancienne collection Heeramaneck, aujourd'hui conservée au Los Angeles County Museum. La comparaison doit s'arrêter là, car s'il est clair que l'artiste qui a exécuté ce thang-ka a une parfaite connaissance et une bonne maîtrise des styles qui se sont développés au Tibet jusqu'au 15° siècle, il nous fait pénétrer avec cette oeuvre dans un nouvel univers, en y intégrant de fortes influences tirées de la peinture chinoise. Ce thang-ka présente de nombreux points communs avec des peintures murales parfois un peu plus tardives, et principalement avec certaines du monastère de Gong-dkar dans le Lho-kha au Tibet Central. Au dire des historiens tibétains eux mêmes ce lieu fut réputé pour avoir été le creuset dans lequel s'est épanoui une des écoles de peinture majeure du, toit du monde, le mKhyen-'bris, qui paradoxalement demeure encore mal connue compte tenu du peu de témoignages encore existants. Elle tirera son nom de celui de son créateur, ‘Jam-dbyangs mkhyen-rtse'i dbang-phyug. Cette tradition picturale connaîtra une du-diffusion à travers tout le pays jusqu'à la fin du 17° siècle, avant de se fondre avec l'école sMan-'bris, pour donner jour au style dominant qui a perduré sensiblement jusqu'à nos jours. Le 5° dalaï-lama, puis son régent Sangs-rgyas rGya-mcho feront appel aux artistes de Gong-dkar pour de grands travaux, notamment au monastère de Drepung. Parmi les détails spécifiques récurrents aux peintures qu'on pourrait être tenté rattacher à cette tradition, la manière très spécifique de maintenir les kapâla avec le majeur et l'annulaire semble la plus évidente. On la retrouve sur notre thang-ka, sur les peintures murales de Gong-dkar, sur l'important thang-ka sur soie du Musée Guimet de l'ancienne collection Densmore représentant Hevajra exécuté dans un style sinisant, remontant probablement au 16° siècle, , et sur un thangka sur fond noir de la collection Fournier représentant Samvara datant probablement de la fin du 16° siècle. Lorsqu'on connaît l'importance des carnets de modèles utilisés par les artistes tibétains, et probablement leur transmission de maître à disciple, il faut peut-être chercher dans de tels détails, des éléments permettant de déterminer telle ou telle école de peinture. Si l'on admet ce rattachement à l'école mKhyen-'bris, il est clair que ce thang-ka de Yamântaka présente encore malgré son caractère novateur, de nombreux archaïsmes, (principalement dans le traitement de la coiffure du dieu, et des halos de flammes), et doit donc trouver sa place dans la période de formation du style inventé par ‘Jam-dbyangs mkhyen-rtse'i dbang-phyug, renforçant ainsi la probabilité qu'il puisse s'agir d'une oeuvre de sa main. Gene Smith dans ses travaux de pionnier croyait avoir découvert qu'il serait né en 1524. A la lumière des recherches de D. Jackson, il semblerait que les textes historiques tibétains anciens le mentionnent comme réputé pour ses représentations de divinités terribles, et exécutant les peintures murales du monastère de Gong-dkar lors de sa fondation en 1464-1465. Les mêmes sources le citent comme un des principaux artistes ayant travaillé à l'ornementation des chapelles du stûpa de Champaling ('Jam-dpal gling) situé à l'entrée de la vallée de Dranang, et qui avant sa destruction était considéré comme le plus grand de tout le Tibet. Le Professeur Tucci qui le visita y mentionne une juxtaposition de peintures de style népalisant, et d'oeuvres de « style chinois ». En 1506, d'autres sources le nomment comme travaillant à Yangpachen, siège des Zhva-dmar de l'école Kar-ma-pa.Même s'il est délicat de certifier que cette peinture puisse être de la main de ‘Jam-dbyangs mkhyen-rtse'i dbang-phyug, elle n'en demeure pas moins une oeuvre importante et un précieux témoignage pour l'histoire de l'art tibétain, d'autant qu'il est possible d'y voir également un point de départ du style qui donnera naissance aux thang-ka sur fonds noirs qui connaîtront un grand développement aux 18° et 19° siècles.

VENDU / SOLD FOR : 8 000 Euros
26/10/1998
en collaboration avec / in partnership with:
Cornette de Saint Cyr

Photo: © M-C Daffos

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